Il réside en ce qu'on ne cesse de penser à ce qu'on désire: on ne peut pas, pour des raisons de la texture de l'esprit, ne pas se demander si ce à quoi on pense tout le temps ou mieux ce qu'on ne peut s'empêcher de croire ne serait pas précisément l'objet d'un désir.
À preuve, ce lien est particulièrement probant pour les désirs et rêves érotiques ou ceux de vengeance. Et, c'est justement pour des raisons qui sont aussi celles de la texture de l'esprit et parce que ce trait capte adéquatement le phénomène de la rémanence des images du rêve au réveil.
C'est pourquoi certains rêves nous poursuivent jusqu'au p'tit matin; ce sont précisément ceux que l'on cherche à interpréter !

En revanche, si « y penser sans cesse malgré soi » est un critère du désir, rien ne permet de traiter les représentations qui émergent dans l'esprit comme des effets que causerait le désir. Évidemment, une objection se présente au lecteur : ne pas cesser de penser à quelque chose, c'est aussi le critère de l'aversion pour la chose à quoi l'on pense; les cauchemars aussi nous hantent au lever. De ce fait, s'impose plutôt alors à l'esprit ce qu'on ne veut surtout pas expérimenter !

Ainsi, loin de se contredire, désir et volonté s'appuient en effet mutuellement l'un sur l'autre: avoir de la volonté, c'est pouvoir s'opposer à ses propres désirs. Ici, nous suggérons au lecteur de traiter le désir en le rattachant à un phénomène bien connu en psychopathologie : la contre-volonté. Il s'agit des cas où l'on agit en faisant exactement ce qu'on s'interdisait de faire, et le désir qui se manifeste ainsi, est vécu comme une disposition étrangère : une autre « Personne » en moi veut « à ma place », et parfois comme si cette autre « Personne » était « vraiment moi »

Comment être en état de désir à l'égard d'une chose, en effet, sans vouloir aussi son contraire ? Il est ici équivalent de dire que si la volonté s'oppose au désir, le désir s'oppose à la volonté comme à la volonté d'une autre« Personne », puisque cette volonté contrarie le désir, dont on expérimentait le jaillissement spontané en soi-même dans le cadre d'une expérience onirique. Donc, nul désir « psychanalytiquement » et éthiquement est significatif, sans contre-volonté, c'est-à-dire, sans la position-exclusion simultanée d'une volonté autre que le désir(c'est-à-dire d'une volonté intentionnellement coordonnée au désir, puisqu'elle lui refuse le même objet) Et si l'on n'expérimente le pouvoir de la volonté qu'en contrariant ses désirs, le contraire est vrai : on ne fait l 'expérience d'un désir qu'avec ce qui s'oppose réellement à une volonté, et la réalité dis-positionnelle d'un désir est étroitement liée à la structure intentionnelle d'opposition qui la fait connaître.
Nous savons donc : ce que je désire, c'est ce que je ne veux pas (mais qui ne cesse de s'imposer en moi malgré moi) d'une part; et ce que je veux, c'est ce que je ne désire pas (et d'autant plus qu'il me faut le vouloir) d'autre part. De ce fait, le cauchemar, dont la texture intentionnelle manifeste le contraire absolu du désirable, est interprétable comme la trace du pire qu'autrui puisse nous vouloir.

Si rêver n'est rien d'autre que faire l'expérience insistante de croyances des plus profondes, et que par ce critère est en même temps révélés un désir, alors cauchemarder fait partie du jeu de l'intentionnalité onirique:c'est la possibilité formelle d'être submergé en rêve par la volonté méchante d'une autre « Personne » qui nous espionne, nous devine et nous sent.Ainsi, la structure intentionnelle du désir comme contre-volonté implique donc le cauchemar comme volonté d'une autre « Personne » de refouler les plus primitifs de nos désirs.

Il n'y a donc rien d'exorbitant à considérer tel cauchemar comme le retour insistant de désirs dont nous nous défendons parce qu'ils nous sont défendus. Bien des cauchemars sont d'ailleurs intuitivement autopunitifs: une vengeance contre des désirs spontanés, exercée par le rêveur contre lui-même, du point de vue de ce qu'il estime ne pas devoir être voulu.Somme toute, la réflexion que nous venons de proposer au lecteur brise une asymétrie entre le désir (souvent irrationnel) et la croyance (souvent rationalisable) Opposer désir et croyance ferait donc de l'habitude le véritable agent causal de la conduite, et toute intervention de la raison sur les croyances n'aurait qu'un effet informel. Or,il est intuitif de noter que le simple constat qu'une croyance induit souvent le désir de se conduire en accord avec elle.

Dans ce contexte, nous proposons au lecteur de partir d'une juste et bienheureuse mixture alchimique de croyance et de désir se transmutant en un joyau nommé le « croisir » : croyance qui serait cause du désir qu'en même temps elle rationalise. Nous suggérons également d'appeler un « croisir » une notion exactement symétrique: un désir qui cause une croyance, tandis que cette croyance rationalise le désir qui en a causé l'éveil dans l'esprit onirique; ainsi, sil'on désire croire quelque chose, il est assez logique que ce que l'on croitsoit une raison d'être pour le désir de croire cette même chose.

Maurice BergeronPsychanalyste