Vous avez de nombreux patients cadres qui vous consultent pour des souffrances liées à leur travail. Quelles situations avez-vous rencontrées, par exemple ?

Sylvie Tenenbaum : Je pense à deux cas de cadres supérieurs que j’ai suivis entre six mois et un an chacun. Le premier, Paul, 42 ans, est ingénieur dans un centre de recherche. Déprimé depuis environ six mois quand il vient me voir, il est embourbé dans des relations difficiles avec son nouveau directeur, nommé à la suite d’une fusion. Insomniaque, Paul souffre aussi d’un psoriasis, sans doute d’origine psychosomatique. Bien que jusque-là battant, Paul se sent « bloqué », ne peut plus « penser ni faire quoi que ce soit », se croit « incapable » de remplir ses objectifs professionnels. Le second patient auquel je pense est Nicole, 35 ans, chef de produit, à la tête d’une équipe de douze personnes depuis dix-huit mois. Lorsqu’elle vient me voir, elle est déstabilisée par son chef : «il me harcèle moralement», me confie-t-elle alors.

En quoi la psychothérapie a permis à ces deux cadres de régler leur problème professionnel ?

D’une part, Nicole et Paul ont enfin exprimé leurs émotions. Cette verbalisation les a soulagés. Jusque-là, ils gardaient pour eux leur colère, leur peur et leur souffrance. D’autre part, au fil des mois, mes deux patients ont approfondi leurs réflexions sur eux-même. Et réalisé qu’ils répétaient inconsciemment une situation qui les avait déjà fait souffrir dans l’enfance, et qu’ils avaient enfouie. Nicole a compris que son chef la dévalorisait, tout comme ses parents l’avaient fait autrefois. Paul a compris que même à la quarantaine, avec un beau costume-cravate et de l’argent, il se conduisait toujours, sans s’en rendre compte, en enfant face à son patron, véritable figure parentale de substitution.

Dans quelle mesure vos patients ont-ils réussi à modifier la situation qui leur posait problème au travail ?

Leur évolution a été particulièrement rapide et importante, mais je tiens à souligner que c’est loin d’être toujours le cas. Grâce à leur motivation, et leur volonté de s’en sortir, ils ont retrouvé l’estime d’eux-même. Du coup, leur comportement a profondément évolué. Au lieu de démissionner, comme elle y songeait au plus noir de sa crise, Nicole s’est confiée à la DRH. Celle-ci, appuyée par le Médecin du travail, l’a encouragée à monter un dossier sur les agissements de son supérieur et à le présenter au directeur général. Son supérieur a été licencié. Depuis, Nicole a retrouvé son poste avec un nouveau supérieur et une équipe motivée. De son côté, Paul a réussi à parler « d’homme à homme » avec son patron, et non plus à se positionner comme un enfant devant une figure d’autorité. Puis, suite à un bilan de compétences, il a quitté son travail, et s’est lancé dans un Master. La dernière fois que nous nous sommes vus, il avait le choix entre plusieurs offres d’emploi qui lui plaisaient.