Pourquoi certaines personnes ont-elles tendance à tout garder, à ne pas vouloir jeter ?

On peut considérer que c'est en quelque sorte une fuite de son devenir, une angoisse liée au futur et non pas au passé comme on pourrait l'imaginer. Il y a bien évidemment deux courants qui font structure dans ce sens, l'un psychanalytique et l'autre comportementaliste. Le premier tendrait à signifier le tout petit enfant qui n'a pas encore grandi dans chacun de nous et qui est resté en quelque sorte bloqué au stade dit « sadique anal », vous savez celui qui ; assit sur le pot regarde d'un sourire espiègle sa mère en lui affirmant qu'il n'a pas envie de délivrer le cadeau tant attendu en temps et en heure. C'est du même ordre, la rétention de la matière fécale du tout petit dénonce un désir de contrôle de son propre corps, de son avenir, de son devenir, mais aussi affirme qu'il est ce qu'il désire et pas autre chose. Bref, il ne se soumet pas au désir de l'autre.

Alors vous me direz, personne ne demande à l'adulte de jeter. Seulement, le syllogomane pense le devoir et ne s'y autorise pas. C'est justement parce que il s'aperçoit qu'il le devrait qu'il va conserver.

Jeter, c'est se libérer, repartir vers d'autres horizons, ne plus s'encombrer. Conserver à tout prix, c'est s'envahir, contrôler et démontrer que la perte est chère, mais le gain aussi. C'est en quelque sorte une démonstration d'une angoisse et d'une prise de contrôle, d'un désir de maîtrise de soi, de son environnement, mais aussi des autres. Ne pas s'autoriser à être soi sans wagons.

Ne rien jeter c'est aussi combler les manques, les carences et les vides que l'on pourrait éventuellement ressentir avant même de les avoir ressenti. Dans ce cas, il s'apparente à une addiction à part entière et à traiter comme telle. Tout garder c'est aussi se rassurer sur sa vie et son passé de peur qu'il ne disparaisse. Ce syndrome peut-être lié à plusieurs périodes de la vie. La tout petite enfance, comme je l'ai signifié précédemment, mais aussi à la perte d'un être cher ou encore à l'occasion d'un déménagement, bref, tout ce qui peut toucher à la sécurité intérieure ou à la perte de contrôle de soi.

Le second courant tendrait à assimiler se trouble à un toc, un trouble obsessionnel compulsif appelé en psychanalyse névrose obsessionnelle et propose de mettre en phase le sujet devant son vide cette fois ci non comblé. Il n'y a pas beaucoup de rechute une fois traité. Dans tous les cas, l'important est de consulter afin de se faire aider pour parvenir à s'autoriser.

des raisons pratiques et économiques : cela pourrait encore servir / cela vaut encore quelque chose  Le syllogomane ne s'autorise pas à jeter. En revanche, il s'autorise à se mentir à soi-même, mais aussi aux autres. Plus la névrose obsessionnelle est lourde et plus il trouvera d'excellentes raisons pour argumenter et donc d'excellents prétextes pour ne pas se libérer. Lorsque le trouble est poussé au paroxysme, qu'il est à son apogée, le sujet exprime la violence de son conflit intrapsychique par un refus total de jeter les aliments avariés, ses excréments, ses saletés corporelles. Toutes pertes occasionnent au sujet une angoisse telle qu'il ne peut plus l'assumer, la confronter, la gérer, il se refuse en conservant. Bien sur, grand nombre d'entre nous conservent quelques petites choses du passé. Les questions a se poser pourraient être, que cela me ferait il de les jeter et pourquoi ? Si une autre entité que vous même est en cause dans la réponse il se pourrait que votre terrain pourrait être propice à souffrir de cette impossibilité à vous autoriser à jeter.

des raisons plus profondes : des objets qui font partie de notre identité ?

La construction de chaque individu ne repose en aucun cas sur le matériel... Même si le matériel, et ce dès notre plus jeune âge, nous envahit et nous rassure. Bébé a ses doudous et lorsqu'il sort souvent maman lui emporte afin qu'il soit bien à son aise ... Tout cet environnement qui nous sécurise, nous permet, nos jouets, plus tard, notre cartable, notre vélo, nos habits, notre voiture, notre ordinateur, notre chambre, nos livres, notre appartement, notre maison... nos objets vont donc nous permettre de nous identifier face à l'intrusion de l'autre chez nous. Chez lui, c'est comme ceci, chez moi, c'est comme ça. La peur de jeter démontre aussi la crainte de ne plus s'appartenir, de ne plus être représenté ou encore représentatif de soi face à l'autre, d'être en quelques sortes « ordinaire ».

Est-ce que cela concerne tout le monde ? Toutes les tranches d'âges, catégories sociales, sexes ?

Tout le monde peut effectivement petit à petit ne plus s'autoriser à jeter, mais la syllogonamie au sens clinique du terme, c'est à dire le TOC diagnostiqué au sens handicapant du terme est assez rare. Comme toutes « névrose obsessionnelles » ( toc ) l'accumulation compulsive apparait en général à la fin de l'enfance ou pendant l'adolescence et plus rarement chez l'adulte. En revanche, il fait partie des rares TOC que l'on retrouve dès 60 ans, âge de la retraite, parfois vécu comme une mise en quarantaine, donc comme à une perte, d'identité, de responsabilité, donc de contrôle ...

Le TOC peut entrainer une désocialisation avec risque de marginalisation et donc de déscolarisation chez les enfants et les adolescents ou de graves répercussions socio-professionnelles chez les adultes. Il est donc recommandé de consulter dès que les obsessions et rituels deviennent invalidants dans la réalisation des activités de la vie quotidienne.

Avez-vous rencontré des personnes dans ce cas ? Quels objets gardaient-elles ?

J'ai rencontré et travaillé simultanément avec deux patients dont la douleur de jeter pour l'un et la douleur de conserver pour l'autre m'ont permis de produire un travail intéressant et pour eux et pour moi. L'un conservait chaque objet qu'il croisait au détour d'un chemin et en faisait un totem, un symbole, une structure, un message, un souvenir, l'autre ne vivait plus que pour être libre de tous et de lui même en particulier au point de ne plus souffrir les us et les valeurs communes.

Ce comportement concerne-t-il tous types d'objets ? Ou des objets en particulier ?

L'accumulation compulsive porte bien son nom, puisqu'elle est compulsive, l'individu n'est plus en mesure de faire un choix dans son désir, puisqu'il ne le contrôle pas, j'ai envie de dire, il le subit ... Donc bien sur qu'elle peut s'apparenter à tout, avec un grand T.

A partir de quel moment ce trouble peut-il devenir problématique ? Quelle est la limite entre avoir du mal à jeter ses vieux cahiers d'école par exemple, et ne rien savoir jeter ?

Comme pour chaque problématique, rien ne sert de consulter le psy si la manie qui nous concerne ne nous envahie pas la vie au point de nous contraindre à les subir, la manie et la vie par voie de conséquence. Donc dès que vous pensez que c'est un problème, il est important de s'autoriser à le régler.

Est-ce que l'on peut en souffrir ? Ou alors est-ce que cela peut faire souffrir l'entourage ?

Le gros problème de l'accumulateur compulsif au bout d'un moment, c'est son espace de vie et celui des autres. Une chose est certaine c'est qu'il ne peut être aidé par son entourage proche, car la source de la pathologie même fait que quelques essais que ce soit renforcent le désir et l'obstination.

Comment faire pour s'en sortir : des petits trucs / solutions pratiques ?

Comme toute pathologie, lorsqu'elle est installée, il n'y a pas de remède miracle. La compulsion est incontrôlable et par conséquent ne peut être détournée par des petits trucs. En revanche, on peut se dire que : Plus on consommera et plus on sera plus propice à effleurer un jour ou l'autre dans ce système et cette mécanique de défense du manque.

Seulement, il s'agit bel et bien d'un terrain plus profond à explorer, j'ai presque envie de dire que ce sont les racines de nos manques qui sont à l'essence de ce dysfonctionnement. Se poser les questions de la raison pour laquelle on ne s'autorise pas à jeter. Et si l'on découvre que la raisons est un prétexte, alors se demander si cela nous pose un réel problème avant de consulter.

Alors si vous vous sentez encombré, n'hésitez plus : autorisez-vous à jeter, cela vous fera un bien fou.

^ Christelle Moreau
Psychothérapeute, psychanalyste
Formatrice en Management et communication
Intervenante à l'Université,
Maison de Santé 7 rue Alfred Mortier 06000 Nice
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