1. Tentative de définition

L’hypnose appréhende l’individu dans et par ses rapports au monde, à travers les relations qu’il entretient avec lui-même, avec les autres et avec son environnement. L’hypnose ne se fonde sur aucune psychopathologie, elle ne se préoccupe pas du passé et n’a pas besoin de donner un sens ou d’interpréter. L’hypnose est une « manière d’être au monde, une façon de se poser dans l’existence » .
De ce point de vue, « la souffrance vient de ce que l’on est mal placé et que l’on se place mal (…) c’est donc le rapport au monde qui fait problème » . Ainsi, c’est la manière dont la personne s’accorde à elle-même et au monde qui la fait souffrir, et c’est sur ces rapports que le processus hypnotique va agir. En effet, l’expérience de l’hypnose permet l’ouverture à une réalité plus riche, en changeant les perceptions et en engageant la personne dans un processus dynamique, dans un mouvement vital. L’hypnose remet « l’individu en mouvement et l’installe à sa place » , en développant ses ressources personnelles et sa sécurité intérieure. L’hypnose n’appartient pas aux domaines de la réflexion, de la compréhension ou de l’analyse, mais à celui du ressenti, des sensations et émotions : « la puissance de l’hypnose provient du fait qu’elle ne fait pas comprendre mais vivre et ressentir » . En outre, elle permet de s’éloigner des besoins de maîtrise et de compréhension, ainsi que des restrictions de la conscience et de la pensée, afin de se ressentir et de s’expérimenter autrement, puis de « s’absorber dans la vie » . Son but est de réactiver dans l’ici et maintenant les potentialités et les ressources inconscientes ou non utilisées d’une personne.

Selon François Roustang, il s’agit d’un état de Perceptude, caractérisé par le lâcher prise, par un état d’ouverture à soi, aux sensations, à l’expérience et au monde environnant. La Perceptude est un état que nous connaissons mais que nous avons quitté au fil de l’enfance. F. Roustang compare cet état à l’expérience du nourrisson qui découvre le monde, dans toute sa sensorialité, et structure progressivement sa relation à celui-ci. C’est une perception « à la fois finie et sans limite » du monde, où le petit enfant va progressivement s’inscrire, construire ses repères, s’adapter et trouver sa place.
L’hypnose va donc nous permettre de retrouver cet état d’ouverture, de découverte et de présence au monde environnant.

2. Le processus hypnotique : vers l’ouverture

Pour décrire la transe hypnotique, F. Roustang évoque un état de « veille paradoxale », terme spécifique montrant ainsi les différences et les similitudes de l’hypnose avec l’état de veille (restreinte) et le sommeil paradoxal (où le rêve est présent). « Elle a certains attributs du sommeil puisqu’elle sépare l’hypnotisé des stimuli afférents, mais par ailleurs elle se révèle une vigilance accrue capable de prendre en compte la totalité des paramètres de l’existence, sorte de vigilance généralisée qui englobe et dépasse la vigilance restreinte, celle que nous connaissons dans la vie quotidienne » .

Il existe différentes phases au cours du processus hypnotique. La première étape est celle de l’induction, où le thérapeute invite le patient à porter son attention sur un élément intérieur (respiration, sensations) ou extérieur (fixation d’un point). Cet état de concentration induit favorise un arrêt de la perception et une rupture avec l’environnement, puis entraine l’état de confusion.
La confusion est un phénomène déstabilisant, qui bouscule les repères, le système de perception et de compréhension de l’individu, favorisant ainsi le lâcher prise. Ce passage par la focalisation et la confusion permet progressivement à l’individu de s’éloigner de la veille ordinaire et d’accéder à la dissociation. En état de dissociation, une partie du patient se coupe de l’extérieur pour se concentrer sur l’expérience intérieure.
Cet état dissociatif permet ainsi l’entrée dans la veille paradoxale, c’est à dire dans un nouveau système de perception et de référence (La Perceptude). De ce fait, le patient, ayant accès à une nouvelle perception, plus élargie, va pouvoir retrouver des potentialités et des ressources non prises en compte par la perception trop étroite et rigide de la veille normale.
Dans le processus hypnotique, il y a donc une perte de contact avec l’extérieur et une baisse de l’activité de la veille restreinte, qui favorisent ainsi l’ouverture à l’imagination, à la veille généralisée et au propre pouvoir de configurer le monde. Le rôle des suggestions et des inductions hypnotiques, utilisées par le thérapeute, est de favoriser cet état de fermeture pour permettre l’ouverture à d’autres perceptions.
Par ailleurs, il est utile et rassurant de préciser que, en état de transe hypnotique, la coupure avec l’environnement n’est jamais totale puisqu’une partie de la personne ( la veille restreinte) est toujours plus ou moins présente. La personne peut également, à tout moment, sortir de cet état si elle le désire.

3. Objectif de l’hypnose : le changement

L’hypnose vise à ré-expérimenter virtuellement, dans l’imaginaire du corps, et à modifier les perceptions, afin d’ouvrir sur d’autres possibilités. « L’hypnose est une thérapeutique de reconstruction, de réassociation, qui réalise au final une plastie mnésique du problème traité et permet à nouveau au sujet d’accéder à la liberté de choix » .

En transe hypnotique, le patient travaille sur son but (de manière plus ou moins indirecte), dans le moment présent, et sur les possibilités d’action pour atteindre progressivement ce but. Il s’agit d’un travail d’anticipation de l’imagination, sur « comment aborder un problème ». Ce travail est d’une grande importance puisque : « il suffit parfois de poser les problèmes résolus pour que se fassent jour les obstacles à franchir » . Ainsi, en s’imaginant dans la situation problème, en l’anticipant et en la regardant en face, un travail est déjà en train de se mettre en place.

La pratique régulière de l’hypnose offre différents bénéfices, et permet, selon F. Roustang d’accéder à une position particulière, la Disposition. La disposition est « l’acceptation d’une chose et de son opposé » : la capacité de faire pour ne pas faire, de vouloir lâcher prise, de ne pas sentir pour se laisser habiter par toutes les sensations. C’ est « comme une disponibilité à l’égard de n’importe quel futur, comme une ouverture qui s’émerveille de tout et ne s’étonne de rien » . Il s’agit donc d’être « simplement » présent à soi même et au monde.
Cette disposition, à accepter une chose et son contraire, apparaît alors comme le fondement de la « philosophie » de l’hypnose, selon F. Roustang. Elle offre au patient la possibilité de sortir d’une impasse et d’une crispation, en créant une attente, puis en favorisant la prise de distance et la remise en question.

Bertrand Picard, psychiatre et psychothérapeute, a développé une approche métaphorique très pertinente dans un article « changer d’altitude pour changer nos visions du monde » .
Selon lui, le mouvement de la vie est comparable à un vol en ballon (montgolfière). Dans ce ballon, nous sommes parfois en prise avec une nature subie que nous ne pouvons pas contrôler : le vent, ses changements de direction et de vitesse. Face à ces obstacles, nous avons tendance à nous battre et à tenter de les contrôler. Cependant, l’auteur nous démontre que rien ne sert de lutter et de perdre de l’énergie à aller contre les vents ; mais qu’il faut prendre conscience de ce que l’on peut ou pas changer, puis s’adapter, en faisant preuve de créativité.
Dans ce vol en ballon, comme dans le cours de la vie, la seule chose que nous pouvons contrôler est l’altitude. Il s’agit bien là d’une métaphore de l’hypnose, qui permet de changer l’altitude ou les perceptions, en s’élevant, c’est à dire en s’ouvrant vers l’extérieur , ou bien en s’abaissant, en descendant à l’intérieur de nous-mêmes.
Ainsi, il ne faut pas lutter contre le vent, mais aller avec lui, en s’adaptant et en développant nos ressources. De même, en luttant contre une tendance ou une angoisse, le risque est de renforcer les résistances et de nier le fonctionnement du sujet. Il faut donc pouvoir se laisser traverser par l’angoisse, l’accepter, pour ensuite pouvoir s’en défaire.

L’éducation, les apprentissages, l’école, nous ont appris à mettre en place des réponses, devenues des habitudes et des automatismes, face aux diverses situations de la vie. Seulement, ces réactions ne sont pas toujours adaptées et peuvent freiner nos capacités créatives : « notre habitude automatique de nous battre contre le vent nous fait oublier tout ce qui peut aller avec lui, avec ce qui soutient les forces du patient, avec ce qui permet de renforcer un processus évolutif » . Il s’agit alors d’effectuer un nouvel apprentissage : apprendre à se défaire de ces automatismes, sortir de nos schémas appris et inefficaces, pour créer du nouveau et changer la perception.

Pour reprendre le terme de F. Roustang, il s’agit de revenir à l’état de Perceptude que nous avons quitté dans l’enfance, en remettant en cause nos savoirs anciens, nos évidences et nos habitudes. Il est nécessaire de parvenir à désapprendre et à lâcher prise, pour être simplement dans la réalité présente et se laisser traverser par toutes les sensations de l’environnement, sans chercher à comprendre, analyser, ou simplement penser, car cette pensée nous éloigne du ressenti. « Chaque fois qu’il arrive avec la plus grande perfection d’exactitude, de penser ce que l’on pense, de sentir ce que l’on ressent, d’éprouver ce que l’on éprouve, on entre dans la vie du monde et on participe à sa puissance » En deux mots, nous devons simplement Etre dans la vie, Exister.

Pour conclure ce bref exposé, l’hypnose n’est pas simplement une technique, mais plutôt une approche thérapeutique, et même une « philosophie de vie ». En effet, l’hypnose est une disposition particulière, un état d’ouverture à la richesse de la vie intérieure et extérieure. C’est un processus dynamique, qui nous (re)donne notre place et nous entraine dans le mouvement de la vie. L’expérience de l’hypnose nous apprend à prendre de la distance avec nos croyances apprises, avec nos réponses réflexes et nos tentatives de solutions, pour laisser notre créativité se déployer.

« Parce que tout se transforme, vieillit et meurt, s’il (l’individu) est dans la disposition (liée à la pratique de l’hypnose ), il est apte aux remises en cause radicales de ses idées, de ses valeurs, de ses certitudes. Il n’est pas à l’abri de la peine, de la souffrance, des déchirements ; mais tout cela, il le prend comme des occasions d’inventer encore sa vie, les autres, ses tâches. »

BIBLIOGRAPHIE

• Sous la direction de J.M. Benhaïem, « L’hypnose aujourd’hui », Editions In Press, 2005 : Articles cités :
- F. Roustang, « Mystérieuse hypnose »
- P. Richard, « Pourquoi l’hypnose existe-t-elle ? »
- P. Parent, « De la psychanalyse à l’hypnose »
- G. Salem, « L’hypnose comme outil expérimental commun »
- F. Roustang, « L’auto-hypnose comme guérison »

• F. Roustang, « Qu’est-ce que l’hypnose ?», Les éditions de minuit, Paris, 1994.
• F. Roustang, « Il suffit d’un geste », Odile Jacob, Paris, 2003.
• G. Salem et E. Bovin, « Soigner par l’hypnose », Elsevier Masson, Paris 1998.

• P. L. Harris, article « imaginer pour grandir », revue Sciences humaines n° 163.
• P.H. Mambourg, article « Créativité et hypnose », revue Hypnose et thérapies brèves, n°3.
• B. Picard, article « L’hypnose dans le vent », revue Hypnose et thérapies brèves, n°1.
• S. Colombo, article « Vous avez dit Pourquoi ? », revue Hypnose et thérapies brèves, n°4.
• Site internet Le cerveau à tous les niveaux.

JULIA LEGRAND
Psychologue- Psychothérapeute