jelm — 28-01-2012 15:06

Mon mari était beau, gentil, jeune. il avait 41 ans. j'en ai 36. Nous avons 2 enfants de 5 ans et demi et 3 ans et demi. Nous étions ensemble depuis près de 15 ans et mariés depuis 3 ans. Mon mari était paysan, je suis professeur des écoles. Nous vivons sur une terre magnifique qu'il entretenait avec acharnement (40 hectares de terre en cévennes ardéchoises, faîsses, et pentes, pierres, bref une terre difficile), et amour. un jour de 2005, il reçoit une lettre des chasseurs remettant en cause les dégâts importants faits par les sangliers sur notre exploitation,et de plus en plus croissants. Cela l'a mis hors de lui de voir son travail non respecté. Il se sentait humilié par ces chasseurs qui ont pris ce territoire pour le leur (même si la loi Verdeille les autorisent à chasser chez nous, ils nous imposaient leurs 4x4 dans les prés, se garant partout chez nous). Ce problème de sangliers était devenu obsessionnel. Il ne les supportait pas, se sentait seul, pas soutenu par le maire, la chambre d'agriculture, ou le PNR des monts d'Ardèche. On pourrait penser impensable qu'un tel problème mène à sa ruine... Depuis petit, il faisait les foins avec ses parents, maniait le petit matériel. Et depuis petit, ses parents l'ont attaché à ce territoire, lui disant inconsciemment qu'il ne pourrait vivre ailleurs qu'ici. Et c'est pour cela que ces dégâts le mettaient hors de lui tant ce territoire était vicéralement ancré en lui. Il me disait que voir le pays si saccagé le rendait malade. Il voulait vendre, mais ne pouvait signer aucun acte de vente. Je lui disais que nous allions nous en sortir tous les 4. Son grand-père paternel s'est suicidé en se pendant à un châtaignier laissant son épouse enceinte et 5 enfants. Cela (le suicide du grand-père) c'est moi qui l'est découvert et mis à jour dans sa famille. Un jour de 2005 il me dit que si je ne veux par partir , il se pendrait à un arbre. Cela m'a estomaquée, choquée. C'est pour cela que j'ai cherché, je me suis dit qu'il ne pouvait pas me dire ça comme ça, qu'il y avait un secret de famille derrière de tels propos. Je le lui ai dit pour qu'il prenne conscience qu'il portait un fardeau familial, qu'il n'y avait pas de fatalité. Il me disait à la fin, que cela allait mal finir, que l'histoire se répète sans cesse. Cela s'est "mal fini": mon mari s'est pendu à un châtaignier une après-midi de novembre 2011. On l'a retrouvé le lendemain...Le docteur m'a dit qu'il était méconnaissable. Je pense sans cesse à lui, j'imagine ses derniers moments, j'ai trouvé l'arbre, un tronc haut , une branche à 3 mètres du sol, bref c'était inratable. Je l'imagine souffrir, et être tout défiguré. J'ai une douleur au ventre, ma tête me tourne tant je ne cesse de penser à sa souffrance. Mais je ne lui en veux pas. Il était mon Amour, l'amour de ma vie, c'était lui comme une évidence. Je comprends qu'il était bien plus malheureux que je le suis aujourd'hui. Mais j'ai mal, mal pour sa souffrance, mal lorsque je vois nos deux chéris qui devront grandir uniquement avec leur papa présent dans leur coeur. Je parle beaucoup avec mes deux enfants. Je ne leur ai pas caché la vérité. Je leur ai dit qu'on avait retrouvé mort leur papa dans les bois. Pour les détails, j'attends qu'ils soient en âge de "comprendre". Ils parlent de lui, nous l'évoquons tous les jours, parfois "entre 2 portes", parfois plus longuement et tristement. Ma fille de 5 ans et demi persiste , malgré mes propos, à croire que sa mort est réversible. Je la comprends, c'est dur déjà pour moi de me dire qu'on ne le verra plus. Je l'ai vu mort, mais j'aimerais tant qu'il revienne. Je me dis que ce n'est pas possible que cela finisse comme ça; il était si gentil. Il était tant malheureux le pauvre. Je sais qu'il n'a pas choisi de se pendre, que c'est sa douleur qui l'a poussé pour ne plus souffrir. je vais au cmp chaque semaine désormais. Lui y allait aussi et je ne comprends pas que l'équipe n'ai pas vu qu'il était à ce point au bord du gouffre. Nous souffrons. C'est dur, horrible, atroce. Comme je le dis à mes enfants la vie ne nous laisse pas le choix que de faire avec son absence, et de penser à lui.