Appoggiator — 11-10-2009 17:33

Bonjour à tous,

Je suis en train de préparer un essai sur l'art et la place de l'ego. La problématique est, en gros, la suivante : peut-on réconcilier humilité et art. Peut-on être artiste sans avoir un ego boursouflé ? Existe-t-il une spiritualité, une éthique qui permette d'échapper à cette apparente contradiction ?

Je suis moi-même musicien, et ce sujet est passionnant. Je compte aborder ce problème sous des angles différents, mais il me semble qu'une approche psychanalytique est indispensable.

Donc, ma question est la suivante : Quelles lectures pouvez-vous me conseiller ? J'ai essayer de faire quelques recherches par moi-même mais les références sont trop nombreuses.

J'ai besoin d'ouvrages traitant de l'artiste, de l'ego, des forces créatrices etc.

Merci pour votre aide.

Etienne.

georgesN — 12-10-2009 09:55

Processus postulé par Freud pour rendre compte d'activités humaines apparemment sans rapport avec la sexualité, mais qui trouveraient leur ressort dans la force de la pulsion sexuelle. Freud a décrit comme activités de sublimation principalement l'activité artistique et l'investigation intellectuelle. La pulsion est dite sublimée dans la mesure où elle est dérivée vers un nouveau but non sexuel et où elle vise des objets socialement valorisés.
Vous en sauriez davantage en lisant l'article "sublimation", p.465 du Vocabulaire de la Psychanalyse de Laplanche et Pontalis, PUF, car c'est LE mécanisme de défense qui est à l'œuvre dans la création artistique, pour les psychanalystes.

Appoggiator — 12-10-2009 14:25

Merci pour cette réponse.

Je comprends que cette analyse se situe en "amont" du processus créatif. Existe-t-il des écrits qui analyseraient les rapports de l'artiste et de son ego, a posteriori, si je puis dire ?

Les pistes freudiennes de sublimation sont-elles les seules ?

J'ai entendu parlé de la psychologie de l'art ? Quid ?


Merci d'avance.

georgesN — 12-10-2009 15:16

les concepts mêmes d'ART et d'ARTISTE me semblent être  l'objet d'un flou ...artistique.
Questions en vrac: considérez-vous un violoniste virtuose comme un artiste? alors est-ce que la même définition de l'artiste s'appliquerait à un compositeur? à Stockhausen et à Madonna? Est-ce que la reconnaissance médiatique suffit à étiqueter un peintre comme artiste? ou faut-il avoir connu la misère puis la célébrité post mortem pour se voir attribuer la reconnaissance universelle?
L'ego boursoufflé (?) de Dali (qui a rencontré Freud!) nuit-il ou contribue-t-il à sa notorieté? ou est-il indifférent?
De son vivant un artiste doit-il savoir se "vendre"?
Ce qui est "a posteriori" relève du narcissisme, autre concept juteux s'il en est !!!
Mais admettez que mettre sous la même rubrique l'auteur anonyme des Vénus cycladiques et ...Michael Jackson par exemple laisse pour le moins dubitatif, et pourtant!!!

Appoggiator — 13-10-2009 10:04

Pas si flou que ça je pense. Les bornes sont peut-être un peu floues, mais la notion d'artiste est définissable à mon sens. Pour être concis je dirai que l'artiste est un créateur. Le virtuose est un créateur d'émotion même s'il est un média. Le point commun entre le compositeur et l'interprète c'est qu'ils proposent tous deux quelque chose et se soumettent au jugement d'autrui. En ce sens, un potier est également un artiste, même s'il est un artisan.

La notoriété est hors de propos.

A part un jugement de valeur entre Madonna et Pierre Boulez, leurs motivations sont les mêmes à mon sens (aussi choquant que cela paraisse...)

Un artiste qui ne se "vend" pas comme vous dites, même s'il faudrait beaucoup expliciter cette notion, n'existe pas. Je suis assez radical là-dessus. Sans ego, sans une volonté d'apport, sans une certaine forme d'inconscience, la création est stérile.

Or, et c'est le sujet de mon étude, l'humilité et la modestie sont des mécanismes exactement contraires. D'où mon essai : peut-on réconcilier art et humilité (et je ne parle d'une humilité feinte et hypocrite...)

Appoggiator — 14-10-2009 10:14

Je viens de lire les cinq leçons (...) de Freud, et je comprends que le concept de sublimation dont vous parliez en est dérivé.

Et à part la piste "freudienne" ? D'autres lectures ?

Comment est son livre sur De Vinci ?

georgesN — 14-10-2009 11:43

son livre est passionnant pour l'approche de la problématique ...homosexuelle !
"Matière a symbolisation; art création et psychanalyse" Bernard Chouvier

nacal — 12-01-2010 21:32

Bonjour à tous!

J'ai du mal à comprendre la problématique de la question qui est posée.
Quels liens y a t-il entre humilité et égo? et quel conflit y a t-il entre humilité et art ?
Peux-tu nous rapporter quelques observations  qui puissent nous guider un peu?
Le nœud borroméen  chez Lacan peut servir à structurer l'analyse du problème.
Chez Lacan l'égo est essentiellement un mirage precipité du miroir maternel et il peut constituer un frein à l'accès symbolique.

Appoggiator — 17-01-2010 17:55

Le lien entre humilité et ego ? Et bien dans une certaine mesure ils sont diamétralement opposés. Le conflit entre humilité et art est le suivant : un artiste modeste n'en est pas un. Un travail spirituel d'abnégation conduit à une minoration de son ego et donc à une certaine stérilisation de la création.
Après recherche sur le Noeud Borroméen ma lanterne n'est pas vraiment éclairée.

La problématique est la suivante : existe-t-il une alternative aux comportements egotiques comme processus créatif ? Et si oui, comment peut-on allier, modestie, humilité tout en conservant une estime de soi essentielle, et continuer à proposer de grandes oeuvres, ambitieuses ?

nacal — 18-01-2010 17:19

Une étude aussi intéressante a beaucoup à gagner à adopter la neutralité axiologique dès le départ, et à déconstruire les concepts (ici humilité et ego).
Parce que ordinairement ils sont entachés de jugement de valeur.
La définition de l'artiste comme créateur est un peu tautologique n'est-ce pas?
Le travail de l'artiste est semblable au travail du rêve (Freud le dit quelque part): dans les deux cas, il y a levée  de la censure, qui empêchait la vérité du sujet à parvenir à la conscience.
L'artiste comme le dormeur mettent à l'oeuvre un ensemble d'artifices pour la voiler et la rendre acceptable.
Si, le dormeur nous livre des vérités personnelles, chez l'artiste on peut penser que c'est toute l'histoire collective qui est dévoilée.

Dans cette analogie deux concepts entre en jeu :  vérité du sujet  et  artifice(masque).

Humilité et ego sembleraient alors faire bon ménage chez l'artiste, à condition de redéfinir humilité comme capacité à accepter la vérité sur soi et  l'ego comme capacité à la voiler (Un peu pardoxal!).
L'ego de l'artiste fonctionnerait donc comme une pilule,  un prix à payer pour nous faire accéder à notre vérité.

Appoggiator — 20-01-2010 16:34

Bonjour et merci pour ce post intéressant.
Je déconstruirais difficilement la notion d'humilité. En ce qui concerne l'ego, et bien appelons-le : vanité, orgueil, estime de soi, amour de soi, image de soi. A noter que certaines de ces notions définissent assez bien l'aspect psychologique du terme, non ?
Vous avez raison cependant pour les dépouiller de jugements de valeur, au sens où d'un point de vue psychologique, ce sont des notions "cliniques", j'entends des modes d'analyse de la psyché. Mais du point de vue de la morale (au sens philosophique du terme) et de la sagesse, alors là, oui, on peut nettement considérer que l'ego est un poison que toutes les grandes doctrines de pensée tendent à combattre.

Si je vous lis bien, le démiurge serait en quelques sortes, comme dans l'image onirique, le créateur d'images collectives ; le média qui concrétiserait les thèmes archétypaux chers à Jung. Pourquoi pas. Après tout, j'ai toujours pensé qu'il y avait dans l'oeuvre belle, dans le jugement esthétique positif, une part de transcendance, d'élévation spirituelle et intellectuelle au-delà du sensible.
Pour autant ce raisonnement me pose un problème : humilité et ego font bon ménage si comme vous le dites, on inverse exactement l'acception de ces deux termes !
Donc : l'humilité serait la capacité à accepter la vérité sur soi. C'est-à-dire que mon oeuvre n'est que le reflet plus ou moins conscient d'un inconscient collectif. Mais dans ce cas, le fond transcende la forme. En d'autres termes, si je suis persuadé que ce trait noir sur ce tableau, aussi pauvre soit-il d'un point de vue technique, représente l'Ombre de Jung, si j'ai en conscience que ce simple trait représente l'image véritablement fédératrice de toute une humanité, pourquoi développer des techniques alambiquées ?
Allons jusqu'au bout de l'acceptation de cette "humilité" : l'essentiel du message inconscient est là, alors, pourquoi le mettre en forme ? Pourquoi en d'autre terme l'art a-t-il évolué alors que depuis l'art pariétal il évoque les mêmes thèmes fondamentaux ? C'est que pour les artistes, la forme bien souvent transcende le fond. Ce qui pousse un musicien à composer ce n'est pas la certitude ou l'inconscience d'exprimer une idée consensuelle, c'est plutôt l'envie d'être reconnu pour la nouvelle technique qu'il aura mise au point pour exprimer cette idée.

A contrario, l'ego serait un voile, une pilule, un prix à payer. On pourrait dire en somme : j'ai un ego comme porte-avion, je suis un artiste à l'ego boursouflé, insupportable, je suis persuadé que mes oeuvres sont des apports majeurs pour mes contemporains, mais vous savez, ce n'est pas ma faute, je suis obligé d'être comme ça, la vanité est la condition de l'expression de mon humilité...
Un peu étrange comme raisonnement, non ?
Le must des écoles spirituelles serait en outre la fatuité ?
Ou peut-être le point de vue de la morale et de la psychologie sont-ils inconciliables ?

Les comportements egotiques sont donc inévitables pour vous ?

nacal — 21-01-2010 23:01

Très intéressant!
J'aurais juste besoin d'un peu de temps pour contre-attaquer!

humus — 08-03-2012 19:37

Votre questionnement est très intéressant car évidemment, il y a paradoxe.
Mais, je vais être dure (ou ignorante, soit!, j'assume), je ne suis pas certaine qu'un psychanaliste puisse comprendre ce qui se passe dans les tripes d'un artiste. L'acte créateur est un phénomène tellement complexe et mystérieux! Pour être plasticienne, je comprends fort bien votre question, que je me suis déjà posée (comment l'éviter?!!)Il me semble qu'il est nécessaire de croire un minimum (pas trop mini) en ce qu'on fait pour le faire mais cela n'empêche pas de prendre du recul et surtout d'être toujours en recherche pour dire et faire mieux. Pour moi est artiste celui qui a le besoin sans arrêt de creuser toujours davantage. Je pense que c'est Cézanne qui disait, à la fin de sa vie!, qu'il commençait seulement à comprendre...
Si l'artiste est conscient du chemin devant lui, il est par conséquent très humble tout en ayant envie de le poursuivre.
Par ailleurs, pour faire suite à ce qui a été dit, bon nombre d'artistes ont évolué dans le sens d'une plus grande simplicité, d'un plus grand dépouillement dans la forme. Sans doute faut-il tout un cheminement pour arriver à un "carré blanc sur fond blanc"...La simplicité serait l'aboutissement et non le départ.
petite remarque: humble vient de humus, c'est bien l'humilité qui fertilise la terre et favorise le développement ...
Je vais continuer de réfléchir (en dehors des sentiers freudiens) à cette excellente question. Et il me semble que la lecture des mystiques peut aider à saisir (et non comprendre) ce paradoxe que vous posez.

Appoggiator — 09-03-2012 10:46

Bonjour,

Ma formation est à la fois musicale et philosophique, et effectivement, j'aborde cette quête dans les sentiers de la psychanalyse sans grandes attentes. En réalité, l'Esthétique (dans son acception philosophique) apporte des réponses très intéressantes à ces questions. Mais je suis curieux et ouvert... Alors !...
Rubinstein avait un bon mot (pour reprendre Cézanne) « En musique, le plus dur, ce sont les 75 premières années... » Je crois que ça résume assez bien une vie de sacrifice et... d'humilité ? Non. Décidément, ce qu'on croit être de l'humilité chez les artistes n'en est pas !
Votre réflexion sur Malevitch en est l'avatar le plus patent : une ingénuité et un dépouillement qui masque à peine l'envie profonde de se faire reconnaître par tous les moyens possibles — y compris les plus audacieux et les plus novateurs. En d'autres termes, le dépouillement, ici, fut instrumentalisé, et ne représente certainement pas l'expression d'un aboutissement éthique.
C'est peut-être le doute plus que l'humilité qui s'insinue dans l'acte créateur, ce qui n'a rien à voir !
Un artiste « mystique » mettrait sa création au service de Dieu — c'est ce que disait Hugo, qui se croyait investi d'une mission divine —, mais là encore, la théologie devient un faux-nez, une justification du comportement égotique.
Comportement que je ne critique absolument pas, du reste, car force est de constater que Mozart, humble, ne serait pas Mozart.

humus — 15-03-2012 16:05

Intéressante distinction entre doute et humilité encore que je ne vois pas comment on peut douter sans rester humble!
Quand vous parlez d'artiste mystique, moi je parlais plus exactement de mystique dont, me semble-t-il la vie même est l'oeuvre d'art par un travail d'alchimie continu et exigeant.
L'artiste humble amène le public à son oeuvre mais pour l'emmener (ou plutôt le laisser aller) ensuite plus loin, ailleurs.
Peut-être que dès l'instant où l'oeuvre est terminée, il s'en détache et la laisse vivre.
Alors que l'artiste dont l'ego est très vivace amène le public à son oeuvre pour l'amener à lui et le "coincer" là. Il fait peut-être plus corps avec son oeuvre et ce,
de manière possessive.
Chez l'un, on est dans le figé, chez l'autre, dans le fluide, dans le vivant.
Qu'en pensez-vous?

Appoggiator — 20-03-2012 12:49

Le doute et l'humilité ne me semblent pas aussi antagonistes qu'il y paraît. Tout artiste doute. C'est patent. En revanche tous les artistes n'ont pas le même rapport à leur ego.
J'ai rencontré beaucoup de musiciens persuadés d'aller dans la bonne direction, sans être sûrs d'emprunter le bon chemin — la métaphore est peut-être parlante. L'artiste boursouflé ne désire pas moins la reconnaissance d'autrui qu'un autre, et dans cette attente, le doute peut s'instiller.

a écrit:

L'artiste humble amène le public à son oeuvre mais pour l'emmener (ou plutôt le laisser aller) ensuite plus loin, ailleurs.
Peut-être que dès l'instant où l'oeuvre est terminée, il s'en détache et la laisse vivre.
Alors que l'artiste dont l'ego est très vivace amène le public à son oeuvre pour l'amener à lui et le "coincer" là. Il fait peut-être plus corps avec son oeuvre et ce, de manière possessive.

Non, je ne suis pas d'accord. L'artiste qui veut emmener le public plus loin, vers d'autres sphères est un... pédagogue ! Un enseignant, un passionné, un journaliste, mais pas un créateur au sens strict. (Même si le prof peut également être compositeur !)
L'artiste vaniteux (tautologie ?) est un mari trompé. Il sait bien que le public lui fait des infidélités, qu'il écoute d'autres artistes, mais il rêve en secret : aimez-moi aussi, aimez-moi quand même, aimez-moi surtout !
Sans cette prétention, toute force créative est annihilée.

Peter — 11-01-2013 18:38

Bonjour, sujet très passionnant!
Quelques observations rapides : a mon avis, c'est pas le role d'artiste d'amener le publique, d'apprendre, de démontrer. C'est la media proprement dite - la musique - hors du temps, en dehors et en meme temps le sujet - un art absolu. L'artiste, tel que je l'imagine dans les posts precedents est dans un role de tout-savant, qui connait et porte un message. Prophétique, chamanique, psychédélique. Inutile de mettre en discussion le praxis musical. C'est un sujet sans fin.

a écrit:

peut-on réconcilier art et humilité

Vous pensez quoi sur les Licences Creqtive Commons et les modèles très anonymes de distribution? Les Alias multiples, les déguisements, le port de masque lors d'une performance, de passer ses disques, par example sur un plateau vide, l'artiste cache dans les Backstages, le public seul avec la media?

bleusena — 28-04-2013 00:02

Votre sujet a attiré mon attention car je tente de comprendre pourquoi je suis en dualité permanente,  entre le besoin de créer, et un dénigrement (pathologique) de mes oeuvres, une sévère auto-censure, au point qu'elle partent toutes à la poubelle.
J'ai exploré plusieurs pistes et questionnements : manque d'égo ? problème narcissique?
J'en suis à me demander si la création artistique n'est pas une oscillation naturelle entre le doute et la certitude de soi.
Effectivement, je manque totalement de certitude me concernant, donc pas d'affirmation de moi! Je crois que je suis en désaccord avec Descartes, je pense mais je ne suis pas !

Que pensez-vous du doute comme moteur (ou frein?) du processus créatif, et son lien avec le doute philosophique?